Thème de la balade VTT du jour : d’île en île. Les Suédois diraient « ötillö », appellation qui évoquera forcément quelque chose aux fans de swimrun (alternance de course et de natation) dont je fais partie. Pour les non-initiés, l’Ötillö est une course fascinante disputée chaque année dans l’archipel de Stockholm où les concurrents traversent en courant une multitude d’îles et se jettent à l’eau pour passer d’une île à l’autre en nageant. Pour mon périple VTT du jour, je me suis contenté des îles de la Seine au cœur du territoire Saint-Germain Boucles de Seine. J’en connaissais déjà une partie, j’ai eu le bonheur d’en découvrir encore davantage.
Premier objectif : l’île des Impressionnistes, à Chatou. Pour la rejoindre, passage par le Pont Georges-Pompidou qui permet de jeter un œil sur l’île Corbière du Pecq. Comme je l’évoquais dans un post précédent, l’endroit était fréquenté dans les années 30, par les Parisiens attirés par les plages aménagées sur ses berges. Désormais réserve ornithologique, elle est aujourd’hui inhabitée et très boisée.
Sur le chemin de l'île des Impressionnistes, les quais de la rive droite que l'on retrouve dès Le Pecq offrent un espace parfaitement adapté à la flânerie. Pas de circulation si ce n’est celle des joggeurs et promeneurs. L’occasion aussi, sous le pont du Maréchal de Lattre-de-Tassigny qui relie Croissy à Bougival, de saluer à nouveau ma « dormeuse », fresque réalisée par deux artistes assistés des élèves de Croissy. Après avoir remonté le quai des Grenouilles, nous voici au pont de Chatou. De l’autre côté, Rueil et les Hauts-de-Seine. A mi-pont, la route permet de descendre sur l'île des Impressionnistes.
A l’origine, deux îles se trouvaient là. La réalisation d’une digue, à la fin du XVIIIe siècle, les a réunies. Dans un premier temps, cap au nord, en amont. Tout de suite, l’histoire nous interpelle. Devant nous, le hameau de la Fournaise (photo Seine Saint-Germain). C’est là, à la fin du XIXe siècle, que de nombreux artistes aimaient se retrouver. Des peintres bien évidemment avec toute l’école des impressionnistes dont Auguste Renoir qui, en 1880, y peignit « Le déjeuner des canotiers », mais aussi des écrivains comme Guy de Maupassant. Tous venaient se divertir à la guinguette de la Maison Fournaise. En 1857, Alphonse Fournaise et sa femme Louise Braud s’y étaient installés et avaient ouvert en plus du restaurant, une location de bateaux. Certains grands tableaux de cette période furent réalisés sur ces berges ou bien dans des ateliers improvisés sur les barques posées sur la Seine. Face à la ville de Carrières-sur-Seine, Claude Monet y peignit par exemple son tableau « Carrières-Saint-Denis ». Le restaurant fermera au début du XXe siècle et sera finalement racheté par la ville de Chatou en 1979. Le restaurant a aujourd’hui rouvert et le Musée Fournaise permet d’y revivre les grandes heures de ce lieu.
La remontée de l’île, sur la partie baptisée « l’île fleurie » (ou île Morue ou île Saint-Martin), nous fait passer devant les installations EDF qui assurent notamment la gestion du barrage mis en service en 1932. Sa nouvelle version moderne de barrage-écluse est beaucoup plus récente et date de 2014. Ce barrage, projet de 69 millions d’euros, est le plus grand barrage à clapets de France et est même équipé d’une passe à poissons pour leur permettre de remonter et descendre la Seine (on peut apprécier l’édifice à Chatou, en longeant la Seine rive droite). On rejoint alors le « golf de l’île fleurie » (9 trous), où les visiteurs sont accueillis par une grande sculpture d’un… rhinocéros blanc, l’emblème du lieu. Le chemin s’arrête là car le nord (territoire de la ville de Bezons), est seulement constitué de friches et est une zone protégée, refuge pour les plantes sauvages et de nombreux animaux.
Demi-tour pour rejoindre la partie en aval de cette île des Impressionnistes, autrefois appelée « Île du Chiard ». Après avoir contourné la grande esplanade, vide en ce jour mais régulièrement occupée par de nombreuses animations (depuis 1970, la Foire nationale à la brocante et aux jambons, habituellement en mars et octobre ; un festival de musiques électroniques Elektric Park Festival en septembre, cirques etc.), on pénètre dans le Parc des Impressionnistes. Dans les allées, on profite du calme de l’endroit. Les plus petits s’inventent des mondes enchantés. Enlacés sur les bancs ou allongés sur la pelouse, on y flirte aussi. Le retour vers le pont nous fait longer le centre équestre. Sur leur poney, la bombe bien accrochée, les apprentis cavaliers sont à l’écoute, concentrés. « Allez les enfants, on passe au trot… » Premiers frissons, premières sensations, premières chutes aussi. Rien de grave, seule la fierté est touchée. Tradition oblige, maman (ou papa) va devoir faire un gâteau pour ramener à la prochaine séance.
Direction l’île de la Chaussée (Bougival est une fusion au début du XVIIIe siècle entre Bougival et le hameau de La Chaussée, Charlevanne), dont la partie amont, appelée l’île de la Grenouillère, est sur le territoire de Croissy-sur-Seine (les deux îles étaient autrefois séparées et ont été « soudées » au XVIIe siècle). Sur cette île de la Grenouillère, une toute petite plage était un lieu privilégié des Impressionnistes, notamment ceux de l’école de Barbizon. Courot, Rousseau, Courbet et leurs amis fréquentaient l’endroit.
Conscient de l’attractivité d’un site à la réputation quelque peu « sulfureuse » (on s’y baignait souvent nu et la mixité y était autorisée contrairement aux plages parisiennes), les époux Seurin y installèrent un service de restauration qu’ils appelèrent « La grenouillère », en référence au bateau-atelier de deux peintres (Auguste Anastasi et Eugène Desjobert) baptisé « La Grenouille ». Le succès est immédiat. Renoir y peindra son tableau « La Grenouillère » (ci-contre - exposé au Musée de Stockholm) et Monet réalisera « Bain à la Grenouillère » (exposé à New York). Guy de Maupassant écrivit sur l’endroit : « Ce lieu sue la bêtise, pue la canaillerie et la galanterie de bazar. Mâles et femelles s'y valent. Il y flotte une odeur d'amour, et l'on s'y bat pour un oui ou pour un non, afin de soutenir des réputations vermoulues que les coups d'épée et les balles de pistolet ne font que crever davantage. (…) Quelques habitants des environs y passent en curieux, chaque dimanche ; quelques jeunes gens, très jeunes, y apparaissent chaque année, apprenant à vivre. Des promeneurs, flânant, s'y montrent ; quelques naïfs s'y égarent. »
Même Napoléon III et l’impératrice Eugénie y séjourneront à la fin du XIXe siècle. Un incendie détruisit La Grenouillère, alors surnommée « le Trouville des Bords de Seine », en 1889. Après sa reconstruction, le succès ne fut plus le même. Le déversement des égouts de Paris dans la Seine finit de décourager les baigneurs d’autrefois…
Le petit chemin emprunté en VTT (ou à pied), sur la rive côté Croissy, permet également par une petite digue, de rejoindre l’île des Impressionnistes. Le reste de l’île (ville de Bougival) est essentiellement résidentiel et abrite de nombreuses installations sportives.
Côté sportif justement, rien de très difficile dans cette balade. Rester en bord de Seine est l'assurance d'avoir très peu de dénivelé. Aucun risque de surchauffe.
Pour rejoindre la prochaine île au programme, passage obligatoire par la rive gauche et donc l’opportunité d’apprécier une fois encore la Machine de Marly. Les passagers des centaines peut-être même des milliers de voitures qui fréquentent tous les jours cet endroit ne se doutent probablement pas qu'ils passent à côté d'une véritable prouesse technologique. Louis XIV avait fait mettre au point ce sytème de pompage des eaux de la Seine pour alimenter en eaux les jardins du Parc de Marly et de Versailles. Problème : une grosse colline faisait obstacle (27 m au niveau de la Seine, 167 m à Marly). Construite entre 1681 et 1682, cette machine était particulièrement impressionnante pour l'époque. Elle fonctionna 133 ans, même si le débit était moindre qu'espéré.
Après avoir pris le temps de regarder les reproductions de plusieurs tableaux célèbres des impressionnistes comme ceux d’Alfred Sisley, auteur de nombreuses œuvres représentant l’endroit, le Pont Abbé-Pierre permet de pénétrer sur l’île de la Loge, gérée administrativement par Bougival, Le Port-Marly et Louveciennes.
Sur la droite, les écluses de Bougival méritent un petit détour. La plus ancienne date de 1838 et fut élaborée pour franchir le barrage de Bougival, au moment de la construction de la seconde machine de Marly, entreprise par Charles X puis poursuivie sous Napoléon III. Deux autres écluses furent ensuite ajoutées en 1879 puis en 1883 avec un bassin de plus de 200 m. On peut encore apprécier les bâtiments de briques qui abritaient les éclusiers. Une vingtaine de bateaux (180 m max de longueur et 11 m max de largeur) franchissent l’écluse chaque jour. Loin des chiffres d’antan… En 1882, 15400 passages de bateaux transportant 2 millions de tonnes de marchandises furent comptabilisés.
Une petite route nous ramène vers l'aval en nous faisant passer devant le complexe de la Banque de France où s’entraînent régulièrement les filles du Paris-SG, le centre Emmaus et le stade Antoine-Lambertini. Pendant quelques hectomètres, on profite également du parc de l’île, de sa vue sur les rives de Port-Marly où sont amarrées quelques péniches où il doit faire bon vivre. La passerelle inaugurée en mai 2017, d’une portée de 86 m et d’un poids de 131 tonnes, permet de revenir sur la rive gauche de la Seine où l’aménagement d’une jolie promenade promet de belles escapades. Beaucoup viendront y prendre l’air, courir, profiter de l’endroit. Ils pourront regarder les membres du club d’aviron de Port-Marly glisser sur la Seine avec pour seul bruit, le souffle des rameurs rythmé par la musique des rames pénétrant l’eau.
Et pour finir ce périple « insulaire » sur notre territoire Saint-Germain Boucles de Seine, cap au nord, vers Le-Mesnil-le-Roi et Maisons-Laffitte grâce à un petit chemin qui longe la Seine, de la sortie du Parc Corbière du Pecq jusqu’à Maisons-Laffitte. Sous le pont de l’A13, ce petit chemin permet également de découvrir la Villa Sapène. Cette villa, située au Mesnil-le-Roi, est aussi surnommée le "bordel allemand". Pendant la deuxième guerre mondiale, les soldats allemands, très nombreux notamment à Saint-Germain (je vous en ai parlé sur ce blog pendant le 1er confinement), venaient en effet s'y détendre auprès des demoiselles françaises. Il ne reste aujourd'hui plus que les murs, transformés en supports pour les graffeurs. L’endroit est bien connu des adeptes d’urbex (exploration urbaine, souvent dans de vieilles usines désaffectées). Les abords ne sont pas très accueillants et n'invitent pas forcément à poursuivre l'exploration, mais sûr qu'avec de bons éclairages, on pourrait y réaliser de superbes séances photos.
Un peu plus loin, on découvre la prairie communale Les Prés du marais, une zone humide refuge pour les biodiversités puis, encore un peu plus loin, de multiples petits jardins. Nous voilà devant l’Ile de la Borde (le nom a pour origine, le terme germanique « bord » qui signifiait « cabane en planches » ou le terme gascon « Borde » qui signifie bergerie à toit de brande (type lande) ou de paille) et l’Ile de la Commune. Autrefois, ces deux îles étaient séparées par un petit bras de la Seine mais elles sont aujourd’hui réunies. Sur sa partie avale (ile de la Commune), les sportifs profitent d’un bel espace de détente avec des multiples terrains de sport, un skate-park. Le bruit des balles de tennis, des ballons de basket et des roues de skate composent une étonnante musique. C’est aussi ici qu’est posé le camping avec tous ses bungalows. Juste pour le plaisir de découvrir une superbe architecture, un petit crochet d’à peine 100 mètres dans la rue Johnson permet d'apprécier la « maison Hautes Rives ».
Retour sur la berge où certains se divertissent sur le parcours santé. D'autres préfèrent profiter d'un banc pour y discuter, y manger, ou simplement y méditer en regardant les quelques pêcheurs du jour. Ceux qui lèveront les yeux peuvent même apercevoir un héron cendré les survoler. Au milieu des années 30, un projet de plage et de casino avait été élaboré mais ne fut jamais mis en œuvre. A l’extrémité nord, au niveau du complexe sportif Pierre-Duprès (ancien maire mansonnien), on distingue sur le petit bras de la Seine, les vestiges de la machine des eaux de Maisons-Laffitte. Elle date du XVII (construction attribuée à François Mansart) et devait ramener l’eau du fleuve au château de René de Longueil.
Fin de la sortie du jour. Retour à Saint-Germain. La petite balade s’est étendue sur une bonne cinquantaine de kilomètres. Elle s’est surtout étirée sur plusieurs siècles d’histoire.
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